Article d’importance majeure compte-tenu de la censure mondiale envers tout ce qui touche de près ou de loin à ce sujet. Il est republié ici avec la permission de l’auteur et l'ami dont nous saluons le courage face à la fureur et violence de ceux qui ont profité du "printemps arabe" pour mener de nouvelles opérations contre la calumet de la paix africain et asiatique (notamment les "opposants" "politiques" "syriens" comme celui-là).
> Ce qu'il faut savoir sur le
narguilé (shisha): histoire, culture et santé [Hookah & Health 2013 :
What You Should Know] . 8 juillet 2013
L'auteur propose un article sur le narguilé ou shisha, des points de vue
de l'histoire, de la tradition et de la culture, mais aussi son degré
de nocivité et les précautions requises pour s'en protéger.
Devinette jordanienne: «'Amîra fî qasrihâ; wa yaduhâ 'alä hasrihâ?»
(«Qui est cette princesse dans son palais, la main sur sa hanche posée?»)
Le mois du jeûne rituel qui approche est
traditionnellement connu pour sa sociabilité nocturne inaugurée autour
de la table servie. De Tunis à Damas et du Caire à Bagdad, une
convivialité de même nature s'épanche de manière remarquable sur les
terrasses des cafés grouillant de monde jusqu'à une heure avancée de la
nuit bercée par le glouglou des narguilés... Mais que savent l'homme et
la femme de la rue tunisienne de cet objet si banal? Si l'on convient
qu'il a suscité une culture matérielle (l'objet en soi) immémoriale, il a
également produit une véritable culture immatérielle au sens même où
l'a définie l'Unesco dans le cadre du Patrimoine Mondial.
Convivialité, partage et dialogue des civilisations
En effet, le narguilé est avant tout un
geste, rituel et humain, et les raisons de sa vogue (découverte pour les
uns, renaissance pour les autres) surprenante, ininterrompue depuis
deux décennies, sont nombreuses et ont été analysées en détail dans un
ouvrage de référence[1]. L'une d'elle est justement la
convivialité très spécifique de cet objet. Mieux, à la lumière des
processus révolutionnaires en cours dans le monde arabe, son geste,
également unique, peut aussi s'interpréter comme celui d'un contre-rite
de masse défiant par son symbolisme ouvertement libertaire et
provocateur une certaine mondialisation, celle-là même que les
Tunisiens, dans leur révolte, ont refusée: celle du chômage chronique et
massif, de la censure, des conflits incessants, bref d'un totalitarisme
plus sournois encore que tous ceux que l'humanité avait connus à ce
jour.
"Femmes de Tunis dans leur appartement" (Anonyme).
De là, on peut se demander si l'irruption
de l'antique narguilé sur la scène mondiale postmoderne, par son geste
convivial, invitant au partage, au dialogue, selon un temps long et des
modalités ludiques, ne fut pas un signe avant-coureur des événements qui
allaient se produire en Tunisie vingt ans plus tard, pays de
convivialité, partage et dialogue des civilisations.
Au cours de la décennie passée, une grave
erreur, tant de la part des scientifiques que d'une partie du grand
public, fut de ne considérer qu'un seul aspect du problème se résumant
souvent à la question toutefois mal posée, foncièrement insidieuse et
devenue «la mère des questions»: «le narguilé est-il plus dangereux que la cigarette?».
Ne considérer que la seule dimension sanitaire de la pratique associée
revenait à la réduire à la simple manipulation d'un flacon rempli d'eau
connecté à quelque alambic dans un laboratoire de chimie...
Or, avant une si soudaine médicalisation de
la question, la question principale qui hantait les esprits était: d'où
le narguilé vient-il? Rappelons brièvement que les hypothèses les plus
consistantes pointent vers l'Afrique orientale où l'on a retrouvé dans
une grotte d'anciens spécimens de pipes à eau primitives datant du 14e
siècle. L'Inde, souvent citée, était par conséquent une «fausse piste» exploitée par des experts de l'OMS animés par une volonté de «démontrer» ainsi que le «mythe» (sic) de la filtration du narguilé aurait été aussi ancien que celui de sa découverte[2]...
Mosaïque dans un café de Béja.
Avant d'aborder la question de ce qu'il faut savoir sur la toxicité
de la pratique, des précautions langagières s'imposent. Par exemple, les
Tunisiens savent-ils que le (n)arghilé (ainsi nommé en Syrie, au Liban,
en Turquie et en Iran notamment), identifié comme «chicha» Tunisie, est
connu sous le terme de «hookah» au Pakistan, Népal, Bangladesh, Inde et
dans de nombreux autres pays, anglophones, y compris en Angleterre et
aux Etats-Unis? Mieux, sont-ils conscients du fait qu'un tel mot,
désormais mondialement célèbre en vertu de la mode universelle que
l'objet a générée, est employé pour nommer l'ensemble de l'appareil
alors qu'il désigne à proprement parler le récipient à eau seulement?
Or, un tel mot provient de l'arabe «huqqa» hérité à l'époque moghole et
qui signifie cavité, soit un objet creux comme, par exemple, dans «
huqqat el-qurbân» (ciboire). D'ailleurs, ce mot est resté dans
l'altération vernaculaire (tunisienne) «
hukka» qui désigne aujourd'hui une boîte quelconque, laquelle vient encore souligner l'étymologie en question...
De la toxicité du narguilé...
Quand, il y a plus de dix ans, la vogue
mondiale du narguilé avait déjà atteint l'intérieur des terres des
continents nord-américain, européen et océanien, les organisations
anti-tabac, très influentes au sein des Ministères de la Santé à travers
dans le monde et infiltrées également au cœur même de l'Organisation
Mondiale de la Santé (OMS), ont immédiatement adopté la manière forte
pour tenter d'endiguer son développement ininterrompu. Pendant plus
d'une décennie, soit de 2002 à nos jours, elles se sont livrées à une
surenchère permanente, annonçant régulièrement dans les médias qu'une
séance de narguilé correspondrait à la consommation de 20, 40, 50, 100,
200 cigarettes (et jusqu'à 450-900 cigarettes selon un reportage de la
très «sérieuse» BBC)[3]. Quitte à une confrontation directe
avec les intéressés pour qui le symbole du narguilé restait puissant,
les aspects socioculturels furent systématiquement niés.
Salon de narguilé en France.
Dans les médias en question, on ne
décrivait plus le nargilé qu'en termes de monoxyde de carbone, goudron,
nicotine, dépendance, cancer, maladies respiratoires, tabagisme passif,
etc.
Du côté des chercheurs en sciences sociales (sociologie et anthropologie), et tant en «Occident» qu'en «Orient», un étrange silence devant une pratique pourtant quotidienne, massive et visible, a toujours régné.
Ces chercheurs qui sont si bavards quand il
s'agit de toutes sortes de sujets, parfois les plus futiles, révélaient
soudain qu'ils avaient littéralement démissionné en livrant le narguilé
sur un plateau à leurs collègues des sciences dures, particulièrement
aux «blouses blanches»...
Or, quoi de plus social et culturel que le
narguilé et qui mieux que les premiers étaient habilités à traiter de la
question? On a ainsi vu des médecins et épidémiologistes s'essayer à la
sociologie, démarche spontanée en soi très louable mais pour
malheureusement proférer des énormités rapportées jusque dans le premier
rapport de l'OMS jamais publié sur le sujet depuis la création de cette
organisation.
Par exemple, on peut lire dans ce document
qu'il serait courant dans le monde arabe (y compris en Tunisie, donc)
que les enfants fument le narguilé en compagnie de leurs parents[2]...
Imaginons un seul instant la réaction que susciterait ne publication
officielle semblable émanant d'une quelconque agence de l'Onu et
affirmant très «scientifiquement» qu'en Europe, les parents
enseignent à leurs enfants à fumer la pipe et le cigare... En Suisse,
les dirigeants de l'association OxyGenève sont littéralement devenus
hystériques à son sujet. Non seulement reprirent-ils, les yeux fermés,
le cliché grossier et mensonger de l'OMS mais ils «en rajoutèrent» au
point de mettre en scène de soi-disant «nombreux parents» et «parfois de très jeunes adolescents de 12 ans ou moins» «dans le logement familial».
Il est inutile ici d'aller plus loin dans les détails indécents d'une
telle xénophobie savante. On aura compris que les auteurs stigmatisent
ainsi des familles de migrants jugées trop «laxistes»[4]...
Syrie: un homme bravant l'interdiction de fumer le narguilé dans les lieux publics.
Pourquoi donc, et selon une étrange
coïncidence – au lendemain même des événements de 2011... –, le narguilé
était-il devenu responsable de tant de maux, au point d'être traité
comme un virus redoutable ou, mieux encore, une arme de dIstrAction
massive?
Passons à des choses plus sérieuses comme le cancer et la «dépendance à la nicotine».
Pendant des décennies, les chercheurs
d'Asie et d'Afrique avaient considéré, sur la base d'observations de
leur propre quotidien, et parfois même avant que la cigarette ne
devienne répandue dans leurs sociétés comme c'est désormais le cas, que
le narguilé ne semblait pas causer le même lot de maladies, à commencer
par le cancer. Bref, pendant des siècles, non seulement le narguilé
n'avait pas causé de problèmes sanitaires mais, en plus, il ne semblait
pas susciter de dépendance; en tout cas rien de semblable à ce qui
«accroche» les fumeurs de cigarettes quand ils sont «en manque».
Cette différence est particulièrement
frappante chez les usagers du tabamel parfumé (moassel, mélange
d'environ 30% de tabac, avec de la mélasse/miel, de la glycérine et des
arômes), le produit à l'origine de la vogue mondiale. Il est à noter ici
que les activistes anti-tabac se refusent à faire la distinction (tant
dans leurs études, ce qui est scientifiquement très préoccupant, que
dans leurs affirmations à l'emporte-pièce) entre le tabamel et d'autres
produits comme le jurâk (prononcé «jirâk» en Tunisie), plus fort, non parfumé et plus «masculin» ou encore le tumbâk/'ajamy particulièrement apprécié des Syriens, Libanais, Turcs et Iraniens.
Dans
ce domaine à la croisée des cultures, de la santé et des intérêts
commerciaux, l'existence de deux protagonistes sont à prendre en
considération: l'industrie du tabac et l'industrie pharmaceutique.
Tabamel Sidi Bou Saïd.
Pour la première, qui confectionne les cigarettes, il apparaît qu'un narguilé trop à la mode est à même de lui limiter son «marché»
de clients à vie. En effet, l'absence de dépendance (ou, en tout cas,
sans aucune commune mesure avec celle induite par la cigarette) est un
trait caractéristique du narguilé et cela pour des raisons tant
pharmacologiques que psychologique et culturelles. Il est bien connu que
«contrairement à la cigarette, les fumeurs ici considérés ne
cherchent pas à satisfaire une dépendance ou calmer une anxiété, mais
plutôt à prendre le temps de se parler, s'écouter et partager, à tour de
rôle, en se tendant fraternellement, rituellement et symboliquement, le
tuyau d'aspiration» et que «toute cette mise en scène autour
d'un objet n'est au fond que prétexte à l'émergence d'une parole,
privée, publique et libératrice»[1].
Quand à l'industrie pharmaceutique, second acteur majeur, et qui commercialise des produits de «substitution» à la nicotine, dits «propres»,
comme les timbres et gommes à la nicotine et des médicaments comme le
Zyban (bupropion) ou le Champix (varénicline), elle s'est distinguée par
le financement précoce, direct ou indirect, de programmes/centre de
recherches dédiés et d'études anti-narguilé.
Dès 2002, des millions de dollars se
débloquaient pour financer deux entités principales: le Centre
syro-étatsunien d'études sur le tabac (US-Syrian Centre for Tobacco
Studies) installé – et c'est assez surréaliste de le constater
aujourd'hui, en Syrie et, plus précisément, à Alep (Halab)... – et le
programme de l'université US-américaine au Liban (US-American University
of Beirut).
Ces deux institutions, qui ont notamment
produit, sans consultation aucune et en faisant fi de tous les principes
éthiques, le rapport erroné de l'OMS[2], ont publié des
dizaines d'articles décrivant souvent des expériences en laboratoire
particulièrement biaisées parce qu'elles ne prennent pas en compte les
différents types d'objet (la variété culturelle des pipes à eau est très
grande), de produits (tabamel, jurak, tumbak, etc., sont complètement
différents les uns des autres, chimiquement parlant pour commencer), de
modes d'usage (charbon en contact direct avec le produit fumé; séparé
par un écran thermique (feuille d'aluminium ou disque en étain, etc.);
etc.
Ouvrage publié par L'Harmattan à Paris.
Cependant, le plus grand biais, fut celui
de recourir systématiquement à l'emploi d'une machine à fumer (tirant
une bouffée périodique toutes les 17 secondes, sans arrêt pendant une
heure...) supposée modéliser le fumeur ordinaire moyen.
Evidemment et malgré la présentation
scientifique des résultats, il s'agissait d'un leurre scientifique et
une grossière caricature qui furent tôt dévoilés et explicités à la
communauté des chercheurs[2][6].
Par ailleurs, les études de toxicité
(dosage des hydrocarbures aromatiques polycycliques, nicotine, amines
aromatiques primaires, etc.) récentes menées par d'autres chercheurs,
pourtant anti-tabac, à partir de marqueurs biologiques sur de vrais
fumeurs, ont fini par révéler le degré de la manipulation.
Un second biais, qui a beaucoup contribué à
faire exagérer la formation de produits toxiques soi-disant générés par
le narguilé, était le fait que ces mêmes expériences, menées dans les
laboratoires de l'US-American University of Beirut, impliquaient que le
charbon reste au même endroit au dessus de la feuille d'aluminium
pendant une heure entière, temps durant lequel la machine «pompait» toutes les 17 secondes...
Les amateurs tunisiens pourront apprécier
par eux-mêmes la valeur d'un tel «protocole» scientifique en relevant, à
juste titre, qu'il favorise de fait la carbonisation du tabamel
(moassel). En effet, dans les cafés de leur pays, il est bien connu que
le garçon, ou l'employé dédié à la pipe et au brasero (kânûn), vient
régulièrement renouveler les braises du narguilé servi au client et les
changer de leur position initiale.
Un troisième biais majeur réside dans le
fait que dans nombre d'études, les volontaires sélectionnés étaient
simultanément des fumeurs de cigarettes ou encore d'ex-usagers de ces
dernières.
Enfin, nous n'insisterons pas trop sur le tour de magie qui consiste à proposer une «étude»
dans laquelle des volontaires doivent fumer plusieurs pipées quasi
successives en quelques heures d'intervalle (comme si c'était la norme
alors qu'en fait la moyenne mondiale se situe autour de 3 narguilés par
semaine et non pas 3 par jour...)[8].
Plus frappant dans ce domaine qu'il convient de qualifier de malhonnêteté intellectuelle («scientific misconduct»
en anglais), l'eau du narguilé n'est souvent pas changée à la fin d'une
séance de manière à ce que la fumée devienne vite saturée de substances
chimiques normalement filtrées par le liquide[7][8]...
Au Pakistan, des chercheurs indépendants
(de l'industrie du tabac et de l'industrie pharmaceutique) ont mis fin à
nombre de spéculations et d'aberrations diffusés dans les médias,
anglophones notamment, au sujet de la relation entre narguilé et cancer.
Sous la direction du Dr Sajid et ses collègues de l'institut de
médecine nucléaire et radiothérapie de Multan (Minar), une double étude
de nature étiologique fut publiée dans le journal de réduction des
risques nord-américain (Harm Reduction Journal)[9]. Rremière du genre et
restée la référence mondiale en la matière, elle fut menée sur des
sujets usagers exclusifs du hookah (villages reculés du Pundjab) ayant
fumé de cette manière pendant des décennies, et à raison de plusieurs
séances par jour, de grandes quantités de tabac (60 grammes de tabac par
pipe ajoutés à 60g de mélasse, soit l'équivalent de 60 cigarettes d'1 g
chacune), dans le fourneau (chillum, ra's, keskes). Les résultats
montrent que le taux d'un marqueur biologique du cancer (CEA), dosé par
prélèvement sanguin, était la plupart du temps plus faible chez les
fumeurs exclusifs de hookah que ceux de cigarettes.
Femmes blondes fumant lenarguilé, "The Guardian" (23 mai 2009- Ph. Barbara Nadel).
Par ailleurs, un effet dose-réponse fut
observé. Tous ces résultats, non seulement confortent les observations
des décennies passées par les médecins en Asie et en Afrique[7][9], mais confirment également le caractère moins cancérigène de la fumée du narguilé comparativement à celle de la cigarette.
Par ailleurs, des études toxicologiques
(sur les hydrocarbures aromatiques polycycliques, aldéhydes, métaux
lourds, etc.) menées notamment en Egypte et en Arabie bien avant l'année
2002, concordent avec les observations cliniques[10]. Ces faits
scientifiques apparemment «têtus» s'expliquent de manière simple et
claire.
La chimie de la fumée du narguilé...
1- Chimie de la fumée.
La fumée du narguilé est beaucoup moins concentrée en substances
chimiques que celle de la cigarette. Dans cette dernière, on a recensé à
ce jour près de 5.000 produits différents. Dans celle de la shisha, des
chercheurs de l'Université Royale d'Arabie en avaient comptabilisé 142
seulement[6].
Une telle fumée est donc qualitativement
plus proche de la vapeur produite par les cigarettes électroniques,
outils de réduction des risques récemment inventés et mis sur le marché
par des sociétés principalement chinoises.
2- Le tabamel
n'est pas brûlé mais simplement chauffé. Le tabamel (moassel) n'est pas
brûlé comme dans la cigarette dont le cône atteint près de 900°C. Un
intermédiaire (en général une feuille d'aluminium perforée) sert d'écran
thermique entre le charbon et le tabamel. La température de ce dernier
dépasse rarement les 200°C. Tout l'art consiste à en empêcher la
combustion en quelque point que ce soit. Une image appropriée est celle
de la cuisine à feu doux libérant de nombreuses saveurs par opposition à
la cuisine à feu fort.
Uniquement chauffé, et donc non brûlé (contrairement à ce qu'ont affirmé les experts de l'OMS dans leur rapport[2]),
les réactions chimiques (comme celle de Maillard notamment) dont le
tabamel fait l'objet sont complètement différentes de celles qui ont
lieu à l'intérieur d'une cigarette. Transportés par la glycérine, les
arômes du tabamel, mais aussi la nicotine, vont se vaporiser pour être
ensuite inhalés par le fumeur.
3- Nicotine. Des
études ont montré que la nicotine physiologiquement absorbée par un
fumeur de narguilé (pendant une séance d'environ une heure) correspond
en moyenne à celle d'une à deux cigarettes au maximum. Ce fait à lui
seul pulvérise l'argument longtemps utilisé comme épouvantail par les
organisations anti-tabac : celui du risque de dépendance au narguilé,
souvent décliné en anglais et dans les médias par le jeu de mots : «hooked on hookah» (accroché au narguilé)[11].
4- Goudron. Là
encore, la confusion a atteint son comble quand des chercheurs
anti-tabac ont comparé narguilé et cigarettes sans informer le grand
public de la signification même de la définition officielle
(tabacologique) du terme «goudron». Pour la cigarette, cette
substance visqueuse et noirâtre (qui n'est pas contenue dans le tabac
lui-même mais qui apparaît dans la fumée) est très concentrée et
contient effectivement des produits cancérigènes. Dans le cas du
narguilé au tabamel, la fumée est principalement constituée (à 80-90%)
de vapeur d'eau (id.) et de glycérol (biologiquement inactif). Les
chercheurs anti-tabac ont non seulement tu ce fait d'importance majeure
mais se sont également abstenus de révéler que le calcul arithmétique du
goudron inclut la proportion de glycérol, ce qui rend, du coup, les
comparaisons extrêmement relatives et trompeuses. Bref, goudrons de
cigarette et narghile sont, qualitativement parlant, complètement
différents l'un de l'autre[2][6].
5- Monoxyde de carbone.
En raison du charbon utilisé comme source d'énergie, le narguilé génère
une quantité non négligeable de ce gaz dangereux. Toutefois, comme dans
le cas du barbecue, rappelons qu'il a toujours été utilisé
traditionnellement dans des endroits ventilés.
Les cafés de Tunisie ou du Moyen-Orient
sont très bien aérés. Or, avec la vogue mondiale du narguilé, on a vu
des jeunes inexpérimentés fumant dans des endroits totalement inadaptés.
Des cas d'intoxication oxycarbonée à Singapour, en France, en Turquie
ont même été signalés dans la presse médicale.
Le message, pourtant simple, était la
nécessité d'une bonne ventilation. Or, en raison de leur fanatisme, les
activistes anti-tabac visent aveuglément l'objectif utopique de
l'éradication pure et simple du tabac et se sont toujours refusés, sur
la base d'une telle doctrine que certains pourront juger criminelle du
point de vue de la santé publique, à délivrer de tels messages de
prévention.
6- Tabagisme passif.
Dans le cas de la cigarette, cette expression floue désigne la gêne
occasionnée par la fumée secondaire (le courant latéral qui s'échappe
d'une cigarette entre deux bouffées), non pas la fumée primaire (celle
qui sort de la bouche, puisque cette dernière a été filtrée par les
poumons du fumeur lui-même). Dans le cas du narguilé, le courant
secondaire est pratiquement inexistant (certes il est possible de le
gonfler artificiellement en jouant notamment sur le contact entre le
charbon et le tabamel...) et c'est d'ailleurs l'une des raisons qui
expliquent l'acceptation sociale du narguilé.
En effet, les non-fumeurs ne se sentent pas
irrités par la fumée secondaire comme dans le cas de la cigarette. Les
seules plaintes observées (et encore, le sont-elles souvent comme
artefact des campagnes anti-tabac dans les médias) concernent «les
odeurs» dues aux arômes libérés par le tabamel et qui emplissent parfois
des établissements, voire des quartiers entier de certaines villes au
Moyen-Orient[1][6]...
Quand cette «pollution» a lieu en
dehors de l'Afrique et de l'Asie, on peut imaginer les accès et dérives
xénophobes qu'ils peuvent susciter; les plaignants invoquant alors les
arguments (scientifiquement biaisés) des «experts», eux-mêmes de simples mortels n'ayant pas hésité parfois à exprimer leur rejet viscéral (pour ne pas dire «haine») de ce type d'«activité» étrangère à leur «culture»...
S'agissant d'acceptation sociale, rappelons
au passage que le tabamel est un produit ambivalent du point de vue
anthropologique et religieux puisqu'il combine un élément divin (le
miel, explicitement mentionné dans le Coran) et un élément diabolique
(le tabac, lié au feu à l'enfer, selon la même représentation)[1].
Les risques du marguilé
Le narguilé est certes moins dangereux que la cigarette mais comporte toutefois des risques à connaître...
Cela dit, si le narguilé est moins nocif («harmful» en anglais) que la cigarette comme le montre la grande majorité des études, cela ne signifie pas qu'il est sans danger («harmless»).
Les groupes anti-tabac ont joué sur la
quasi homophonie de ces mots pour inventer le soi-disant mythe selon
lequel le narguilé ne rendait pas la fumée «harmless». Il est
clair qu'il ne s'agit pas d'un filtre parfait tout comme celui des
capsules de purificateurs d'eau du robinet ne tamisent que partiellement
les impuretés.
Dans une visée de réduction des risques, la
raison de son invention, en des temps très éloignés, fut seulement de
rendre la fumée moins nocive («less harmful» en anglais).
N'absorbant pas de l'air pur, les amateurs
de narguilé, dans le cas d'un usage intensif, sont susceptibles de
connaître à long terme des problèmes respiratoires du type des
broncho-pneumopathies. En Tunisie, l'équipe de pneumologie et
physiologie de la Faculté de médecine de Sousse s'est particulièrement
illustrée par son indépendance et la qualité de ses travaux. Les
spécialistes ont mesuré les variables exprimant la qualité de la
fonction pulmonaire (y compris le vieillissement : «ageing» en
anglais) du fumeur quotidien de narguilé (au jurak), comparativement à
ceux d'un non-fumeur, et ont trouvé qu'elles été affectées, quoique dans
une moindre mesure que celles enregistrées chez les fumeurs de
cigarettes[12][13].
Il existe diverses façons de préparer le
narguilé. L'une d'elle, en vogue depuis les années 80, consiste à
insérer une feuille d'aluminium perforée entre les braises et le
tabamel. Elle sert, comme nous l'avons dit, d'écran thermique. Or, si
cet aluminium est de mauvaise qualité, ou si encore le fourneau
métallique (ra's, keskes) est recouvert d'une protection de type «inox», on peut suspecter que des métaux lourds (cancérigènes) ne s'associent au courant inhalé par le fumeur.
C'est ce que l'on peut supposer à la
lecture d'une étude tunisienne récente menée dans la région de Sfax
(toutefois polluée... de) et que nous avons pris le soin de commenter
afin de lancer, une nouvelle fois, un appel aux autorités sanitaires
tunisiennes, en particulier [14][15].
Nous espérons que ces craintes ne se
vérifieront pas, compte-tenu de l'usage très répandu de cette méthode
sans qu'aucun message de prévention n'ait jamais été diffusé par les
autorités sanitaires. Aussi, et depuis la présente tribune, nous
invitons d'ores et déjà les utilisateurs de narguilé (et les cafetiers
en premier lieu) à éviter l'emploi de fourneaux métalliques en inox
(préférer ceux en argile, sans vernis) ainsi que le papier aluminium de
mauvaise qualité.
Idéalement, ils devraient veiller à
observer un espace entre la feuille d'aluminium et le tabamel (moassel)
afin d'éviter le contact direct entre le papier et le tabamel et ainsi
préserver la basse température du système. Le souci (et «l'art» pour les amateurs) permanent devrait être de produire une vapeur plutôt qu'une fumée.
Enfin, que les usagers se rappellent que moins ils fumeront fréquemment le narguilé, plus grand sera leur désir de «faire un kif»
à chaque fois et mieux leurs poumons se porteront à long terme.
Idéalement, ils pourraient observer un rythme d'une fois par semaine ou
quinzaine, ou ne s'y adonner qu'en certaines occasions de l'année comme
les fêtes de mariage ou une fois par an à l'occasion du jeûne rituel.
* L'auteur, chercheur
en anthropologie médicale, a notamment publié les deux ouvrages
disponibles sur le sujet («Tout savoir sur le narguilé», 2007, 2012 ;
«Le narguilé», 1997) et une série d'études scientifiques sur les
questions relatives à la toxicité du narguilé. Sa dernière publication
d'importance traite de tabac dans les momies précolombiennes.
Références bibliographiques
[1] Chaouachi, K. : «Tout savoir sur le narguilé. Société, culture, histoire et santé»
; Paris, L'Harmattan, 2012, 256 pages, colour. ISBN : 978-2-296-96620-8
(éditeur précédent: Maisonneuve & Larose, Paris, 2007, ISBN :
978-2-7068-1954-4).
[3 ] Snowdon, Chris. Shisha Madness: BBC and Department of Health accused of "gross exaggeration" in Shisha Story. 25 Aug 2009.
[10] Gharbi (El-), Brahim: «Tabac et appareil respiratoire», Tunis (Ariana), Institut de pneumo-phtisiologie A. Mami.
[15] Khlifi R, Olmedo P, Gil F, Feki-Tounsi M, Chakroun A, Rebai A, Hamza-Chaffai A.: "
Blood
nickel and chromium levels in association with smoking and occupational
exposure among head and neck cancer patients in Tunisia"; Environ Sci Pollut Res Int. 2013 Apr 28. [Epub ahead of print]
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