Lire le communiqué de presse (*):
Monsieur le Rédacteur en Chef du journal Le Monde,
Votre journal a publié pour la première fois de son histoire un article sur le narguilé (1). Or, comme chercheur spécialisé dans ce domaine depuis une dizaine d’années, je veux attirer votre attention sur un certain nombre d’erreurs que contient le texte en question:
S’agissant de vocabulaire, le narguilé est ainsi appelé en Iran (Perse) mais le terme qaliân (ghaliân)l’est aussi. Ce sont deux pipes de formes différentes et la dernière s’apparente davantage à la mondialement célèbre chicha (shisha) que la première dont le récipient est nécessairement basé sur une noix ce coco évidée. En Turquie, le narguilé porte cette même appellation avec cependant une orthographe différente : « nargile ».
En aucun cas, comme l’affirme Alix Koffi, il est appelé « hookah » dans ce pays.
Par conséquent, il est regrettable que le journaliste se réfère à un site commercial au lieu de citer des travaux universitaires plutôt exhaustifs sur le sujet. Voilà pour les aspects sociaux et culturels. Passons à la dimension sanitaire.
Le président de l'OFT (Office français de prévention du tabagisme), interrogé sur cette question affirme que « le taux de nicotine, filtrée par l'eau, est moindre que dans les cigarettes ». Il n’est pas nécessairement moindre. Il peut égaler la quantité produite par une ou deux cigarettes si l’on se base sur les rendements de machines à fumer ou obtenus en laboratoire (2, 3). Cependant, un fumeur, particulièrement un ex-usager de cigarettes, est capable, en adaptant inconsciemment sa fume, de tirer d’un narguilé toute la nicotine dont son corps a besoin (« titrage »), autrement dit, celle que pourrait lui procurer quotidiennement l’équivalent intégré d’un paquet ou plus de cigarettes.
Le chercheur interrogé poursuit en affirmant que "Contrairement aux idées reçues, les particules de goudron ne sont pas filtrées dans l'eau, […] pire, elles y grossissent." Le narguilé produit en effet des goudrons mais les études menées à ce sujet sont contradictoires quand elle ne sont pas fortement biaisées (4). De toutes façons, s’agissant de goudrons, ce qui importe n’est pas leur quantité mais leur qualité (cancérogène notamment). Cette dernière dépend notamment des températures auxquelles les goudrons sont produits. Or, le cas du narguilé est très différent de celui de la cigarettes. Aussi, nous recommandons la plus grande prudence dans l’interprétation des résultats.
Certainement le volume de fumée inhalée (quand elle l’est) est beaucoup plus important que dans le cas de la cigarette. Si ce fait soulève des craintes légitimes, gardons à l’esprit deux choses : 1) les gens fument ainsi depuis plus de quatre siècles ; 2) si la fumée du narguilé avait exactement la même composition que celle de la cigarette, le monde aurait assisté à des hécatombes provoquées par le tabagisme correspondant. Pour de nombreuses raisons (circuit de la fumée, températures très différentes, lavage, etc.), les fumées du narguilé et de la cigarette ne sont pas qualitativement semblables. Ceci ne signifie pas pou autant que fumer le narguilé soit une activité innocente. Loin de là. Ainsi, il faut surtout dissuader ses amateurs de ne pas s’y adonner quotidiennement. En effet, ils s’exposeraient à long terme à des maladies respiratoires (broncho-pneumopopathies chroniques obstructives, entre autres) du même type que celles que connaissent les usagers de cigarettes (5). Le meilleur message à leur adresser est : le souffle, c’est la vie.
Le chercheur interrogé fait référence au seuil d’alerte à la pollution au monoxyde de carbone (CO) de 8,5 ppm (parties par million). Il importerait de signaler tout d’abord que cette limite est déjà largement dépassée chez les fumeurs de cigarettes. Elle l’est certainement chez les fumeurs de narguilé, tant vis-à-vis du CO alvéolaire qu’ambiant, particulièrement en raison des atmosphères langoureusement confinées propre à certains salons néo-orientalistes dont le service central est le narguilé. La raison principale en est le charbon de bois destiné à chauffer le tabamel dans le fourneau. Or, un tel produit génère des taux élevés de ce gaz dangereux qui est malheureusement pratiquement insoluble dans l’eau.
Cependant, le chiffre annoncé de 80 ppm est visiblement exagéré. Une étude menée au Moyen-Orient sur 26 sujets par l’équipe internationale la plus en vue dans ce domaine (6), relève les taux suivants : 6,8 ppm (avant la fume) ; 28,2 ppm (après la fume). Dans une étude précédente (7), la même équipe avait relevé: 5,6 ppm (avant la fume) ; 36,3 ppm (après la fume). Enfin Yanal Shafagoj, l’auteur des études de référence dans ce domaine,(8) avait trouvé, il y a quatre ans, sur des usagers dépendants, abstinents depuis plus de trois jours, et s’adonnant habituellement, depuis plusieurs années, à 3 narguilés par semaine et chargés avec 20 grammes de tabamel dans le fourneau : moins de 6 ppm (avant la fume) ; 14,2 ppm (après la fume).
Dans ces conditions et dans une perspective de réduction des risques, les usagers de narguilé doivent d’abord être mis en garde contre les dangers posés par l’usage du charbon, particulièrement le produit commercial qui n’est pas naturel. Le nouveau produit –d’ailleurs à l’origine de la vogue mondiale en raison de la facilité de sa préparation- contient probablement des métaux et des substances dont on connaît mal la toxicité.
Enfin, ce n’est pas « à cause du CO que les narguilés sont interdits, depuis 2002, dans les lieux publics au Maroc », lesquels sont bien mieux ventilés que les salons à narguilés français, mais pour d’autres raisons non avouées.
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(*) K. C. Anthropologue spécialisé dans la critique des études biomédicales sur le narguilé, DIU de Tabacologie de Paris (1998). Auteur d’une thèse de 420 pages, deux ouvrages (« Le narguilé », L’Harmattan 1997, 262 pages ; « Le monde du narguilé », Maisonneuve et Larose 2002, 156 pages) et d’articles transdisciplinaires de fond sur le sujet, publiés dans la presse biomédicale indépendante et de qualité.
L’auteur peut être contacté à kamcha[a]gmail.com
TRIPLE CENSURE ? Ce droit de réponse a été décliné par le journal Le Monde qui a préféré laisser de graves erreurs scientifiques à l’abri de toute critique, si ce n’est celle des membres… payants du forum (voir les commentaires en ligne de ces derniers [1]). La « science » dans ce domaine, qui serait représentée exclusivement par le chercheur interviewé dans l’article, s’est, une fois de plus, prononcée.
3 indices laissent craindre une triple censure:
1-par le choix délibéré de nous écarter en dépit de notre expérience reconnue du sujet;
2-parce que le droit de réponse dans le cadre du « Courrier des lecteurs » nous a été refusé;
3-par ce que le « Médiateur » du journal, censé donner son avis dans ce type de situation, n’a pas daigné répondre.
Aussi, nous laissons les esprits libres, et particulièrement ceux qui savent par expérience (autre que celle de la une d’un journal télévisé ou d’un journal) ce qu’est un narguilé, juger par eux-mêmes de la nature éthique de telles pratiques au sein de ce journal.
Ecrivez vous-même au Courrier des Lecteurs: courrier-des-lecteurs[a]lemonde.fr
Ecrivez au Médiateur : mediateur[a]lemonde.fr
Vous êtes libres dans une société libre où la presse est libre
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NOTES BIBLIOGRAPHIQUES
(1) Alix Koffi, "Les cafés-narguilés : une convivialité qui n'est pas sans danger", Le Monde, 8 août 2006.
www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3238,36-801604@51-798154,0.html
(2) Sajid Km, Akther M, Malik GQ. Carbon monoxide fractions in cigarette and hookah. J Pak Med Assoc 1993 (Sep); 43(9):179-82.
(3) Shihadeh A. Investigation of mainstream smoke aerosol of the argileh water pipe. Food and Chemical Toxicology 2003; 41: 143-152.
(4) E-Letter to the Editor: “Measuring Real Exposure to Narghile (Hookah, Shisha) Smoke and Other Concerns Related to Public Health”. European Journal of Public Health 2006 (Jul 2). A critical analysis of Tamim H, Akkary G, El-Zein A, El-Roueiheb Z, El-Chemaly S. Exposure of pre-school children to passive cigarette and narghile smoke in Beirut. European Journal of Public Health 2006 (May 4): 4 pages.
http://eurpub.oxfordjournals.org/cgi/eletters/ckl043v1#18
(5) Al-Mutairi SS, Shihab-Eldeen AA, Mojiminiyi OA, Anwar AA. Comparative analysis of the effects of hubble-bubble (Sheesha) and cigarette smoking on respiratory and metabolic parameters in hubble-bubble and cigarette smokers. Respirology 2006; 11: 449-55.
(6) Syrian Center for Tobacco Studies: www.srnt.org/pubs/nl_05_06/news.html
(7) E-Letter to the Editor: Syria, Lebanon, Tobacco Research in General and Narghile (Hookah, Shisha) Smoking in Particular. Tobacco Control 2006 (8 June). A critical analysis of the following study: Ward KD, Eissenberg T, Rastam S, Asfar T,Mzayek F, Fouad MF, Hammal F,Mock J, Maziak W. The tobacco epidemic in Syria. Tobacco Control 2006;15;24-29.
http://tc.bmjjournals.com/cgi/eletters/15/suppl_1/i24#top
(8) Shafagoj YA, Mohammed FI. Levels of Maximum End-Expiratory Carbon Monoxide and Certain Cardiovascular Parameters Following Hubble-Bubble Smoking. Saudi Med J 2002; 23(8):953-8.
DIFFUSION ET TRADUCTION LIBRES AVEC MENTION DE LA SOURCE
Paris, le 9 août 2006
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VOIR AUSSI, DANS LE MEME STYLE, LA CRITIQUE DES REPORTAGES TELEVISION FRANCE 5 ET ANTENNE 2:
Voir le programme de télévision France 5 : presser ICI (realplayer)
Reportage France 5: Lire le communiqué de presse:
"Blouses blanches et narguilé: mise en scène de la "science" à l'écran de France 5"
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Reportage Antenne 2 (nouveau): Lire le comuniqué de presse:
Attention : Vous n'êtes pas sur la page d'accueil de l'Observatoire Narguilé et Santé (Chicha et santé, Narghilé et santé, Shisha et santé). Cliquez ICI pour y retourner.
1 comment:
Bonjour,
Merci cher ami pour l'article
David
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